vendredi 26 décembre 2008

Lumielle (1995)

La biographie du groupe à l'occasion de la sortie de l'album LUMIELLE en 1995

Formé en septembre 1990 (sous le nom de CANDLE) , CARMINE se compose de Isabelle Andres : chant, guitare, piano ; Julien Retaillaud : chant, guitare, tous instruments ; Théo : batterie.

Mars 1992 voit la sortie sur le label LITHIUM de leur premier CD 4 titres, Beginning Blue. Décrit par le Melody Maker comme "gloriously scratchy, blurred, stoned, hazy, disorienting, claustrophobic and enchanting" (!), ce EP prouvait qu'un groupe français, inspiré à la base par des artistes tels que My Bloody Valentine ou Glenn BRANCA, pouvait en dégager un style personnel et attirer l'attention des deux côtés de la Manche.

Entre temps, CARMINE change de nom pour cause d'homonymie avec un groupe anglais et crée sa propre maison de disques, KARINA square, sur laquelle est sorti en mai 1993 leur premier LP Visual. Les 12 chansons de ce disque, décrites comme "fuyantes et fascinantes comme des gouttes de mercure", sont conçues comme l'expression d'images intérieures, d'où le titre de l'album. Les guitares sont toujours dissonantes, mais rarement saturées, et au détour d'une mélodie murmurée vient parfois se greffer un orgue aérien ou ... une sirène d'ambulance. "Calme et oppressant", "doux-amer", "à la fois ensorcelante et dérangeante", tels sont les mots qui reviennent le plus souvent pour décrire l'atmosphère de cet album.

Puis, en avril 1994, sort le 45trs single A Larger Sea, réalisé en collaboration avec le label espagnol Acuarela Records, qui voit, à la traditionnelle base guitare/basse/batterie, l'adjonction d'instruments plus surprenants, comme la flûte ou le violoncelle, et où CARMINE prouve, une fois encore, qu'il est possible d'allier expérimentation et mélodie.

Avec son nouvel album, Lumielle, CARMINE élargit encore le registre de son inspiration: les voix féminine et masculine se répondent ou se marrient en chantant indifféremment en français, en anglais, voire en allemand ; la guitare basse laisse la place au piano ou au violoncelle, le melodica ou le vibraphone tentent de rivaliser avec les guitares.
La mélancolie naît parfois du rythme répétitif et dansant d'un "Quadrille", mais jamais de l'ennui. Isabelle, Julien et Théo passent ainsi d'un morceau aux sonorités douces et étranges comme "Tenebrae", à la violence d'une reprise d'un groupe de "white noise", ou encore redessinent avec les violons du "Sommeil" les contours d'une nouvelle approche de la chanson en français, avec comme seuls fils conducteurs l'émotion et la sensibilité.

– Ce court texte accompagnait les exemplaires promotionnels de l’album « Lumielle » (1995).

"Ca aurait pu commencer d'une autre façon, de mille façons même ; l'essentiel est que j'avais l'impression de le vouloir de toutes mes forces. Mais, en tout cas, ça ne pouvait se terminer que d'une seule finalement.

Tout le temps que ça avait duré, j'avais eu peur d'avoir mal. J'y pensais de plus en plus et j'en étais de plus en plus sûre. Et maintenant, voilà, j'avais mal, horriblement mal. La douleur, qui au départ était concentrée sur un seul point, franche et nette, devenait de plus en plus intense et irradiait à partir du bas-ventre en ondes concentriques. Immersion dans une mare stagnante, puis respiration. L'impression que l'air s'épaississait à chaque reprise de souffle.

Je fixais la lumière qui finissait par se concentrer en un point immensément brillant mais s'éloignant au fur et à mesure de mes efforts pour ouvrir les yeux. Mais est-ce que j'avais envie de voir tout ça finalement?

Un moment, j'ai cru que j'avais crié, puis que je ne pourrais plus jamais ouvrir la bouche. Pourtant, la pièce était remplie d'un halètement de bêtes fauves, tapies, prêtes à déchirer mes entrailles déjà tordues par des spasmes de plus en plus nombreux.

J'ai hurlé, je voulais partir, tout arrêter, non mais quelle bêtise j'ai faite, je regrette, je ne veux pas, je ne veux plus...

Puis, au milieu de toute cette souffrance, de toute cette douleur, alors qu'un liquide chaud et poisseux s'écoulait de mon corps, j'ai senti comme un bruissement d'ailes très doux entre mes jambes, une caresse fraîche semblable à l'effleurement d'un papier de soie, là où la bête mordait pourtant le plus férocement.

Et je fermais les yeux quand Lumielle les ouvrit au monde."
(in "Lumielle" - Alice CALVERT - 1991)





CHRONIQUES


Octopus n°2

On cesse d'entendre et de voir quand on a perdu le sentiment de soi-même. C'est pour ça qu'il faut encore et toujours des preuves qu'on existe encore. Sur ce nouvel album, Lumielle, il faut chercher ces phrases parmi toutes ces pistes de voix de morceau f.i.r.m. , ce cache-cache sonore qu'affectionne tant Godard.
Se livrer d'autant plus que l'apparence reste mystérieuse, à l'image de cette pochette basée sur une photo de film muet japonais et représentant une danseuse (?) désarticulée.
Carmine poursuit son bonhomme de chemin entre velléités jazzy et mélodies humaines intemporelles. Sur un poème de Paul Celan, Tenebrae débute l'album avec le chant très pur d'Isabelle, comme l'écho lointain d'un Lied mystique soutenu par l'utilisation d'un balafon (instrument de musique à percussion d'Afrique Noire). La guitare slide de l'évident single How did we live here, le violoncelle du Sommeil, la valse sublime de Résonance du vide, la ritournelle de So beautiful (des Flaming demonics) ou encore le piano clin d'œil à Bach (dans la nouvelle version de Non, ne discute pas la vérité), sont autant d'indices témoignant de la progression du groupe.
Progression évidente par rapport au premier album Visual, tant dans le travail sur les arrangements que de par la diversité des instruments utilisés (chimes, vibraphone, melodica, guitaroncelle).

La musique de Carmine s'affirme de plus en plus dans un registre personnel qui, en ces temps d'ouverture musicale, devrait leur permettre de gagner les faveurs d'un public plus large (la présence de quatre morceaux en français allant dans ce sens). Pourtant, on les sent proches de la rupture. Lumielle semble en effet avoir été enfanté, au sens douloureux du terme, dans un mélange de joie et de peine. Quand l'amour et la musique ne parviennent pas à effacer le sens d'une douleur originelle vague ; une très lointaine douleur que l'on tait, dont on ne veut pas connaître l'origine.

La musique de Carmine, dans sa beauté, renvoie à une incapacité à vivre dans le monde, une vie qui s'apparenterait plus à un métier dirait Pavese. Lumielle est un album qui prend au cœur, pour ne pas dire aux tripes. Il semble toucher une vérité propre aux sentiments, à travers une cicatrice intérieure. Certains cherchent un exutoire par la violence musicale, d'autres, certes, peuvent trouver cette démarche veine et futile. Ou peut-être Carmine n'en a-t-il tout simplement plus la force, et laisse-t-il ainsi échapper quelques ultimes souffles.

Dominer sa respiration, se maîtriser et le souffle sera porteur d'une lente clarté. Une clarté diffuse, qui n'est pas tout à fait aussi aveuglante que celle de Venise, mais qui aspire à le devenir. "Cela commence toujours ainsi, mais le sommeil n'est pas la solution," cette phrase du Sommeil semble répondre à cette question que posait Maurice Pinget dans son livre sur le sens du savoir-vivre japonais : "Ne peut-on qu'en cessant d'être, s'assurer de ce qu'on était ? "
Vivan(e) Vog


Magic! #2

A la question : le rock en France peut-il surprendre et divertir, Carmine répond oui sans hésiter. Nulle auto-complaisance pour Isa, Théo et Julien, surtout pas cette monotonie d'accords stéréotypés, ni le pompage coutumier de gimmicks en vogue chez les anglo-saxons pour palier une inspiration défaillante. Carmine s'auto-suffit et développe en une seule chanson dix fois plus d'idées qu'un album entier de Welcome to Julian (condoléances).

Lumielle, outre son désengagement volontaire, est un véritable jeu de pistes pour qui voudrait répertorier ces inclassables. Au mieux, et pour ne pas leur faire trop de peine, on se contentera d'évoquer une filiation avec Can et le légendaire Tago Mago. Chaque titre de l'album est un Mécano subtil où les musiciens ne suivent jamais le plan indiqué sur la notice de montage. Vibraphone, violoncelle et piano sont souvent conviés à participer à cet édifice fragile de chansons désorientées, un équilibre rendu d'autant plus précaire par des vocaux mal assurés ou mal à l'aise.
Le propos reste toujours sombre, presque "new-wave" dans son obscurantisme, de même que les sonorités y sont souvent déconcertantes. Quadrille ou Le sommeil dévoilent d'ambitieux labyrinthes, tandis que Beautiful révèle une sensualité de glace et Music Hall clôt avec douceur cette promenade de zombie au sein de l'underground made in France.

Avec Lumielle, Carmine se garde bien de révéler son étrange alchimie, entre expérimentations sur le fil et mélodies à l'abandon. Combien de groupes en France peuvent se vanter d'avoir un jour ou l'autre intrigué leur auditoire ?
Hervé Crespy 5/5

webzine et voila le travail

Au début des années 90 le label londonnien Too Pure sortait chef d'oeuvre sur chef d'oeuvre : Pram, Moonshake et les Long fin Killie expérimentaient chacun aux frontières de la pop, du Kraut Rock et du Jazz.A la même période, les français de Carmine écrivaient un album incandescent avec les mêmes ingrédients, pour un résultat fascinant d'atmosphère tendue et de poésie troublante.




le verso de la pochette


le rond central du cd

la première page du livret

la deuxième page du livret

la troisième page du livret

la dernière page du livret



2 morceaux extraits de l'album "Lumielle" (Karina Square/Semantic)



1 commentaire:

  1. J'avais fait une copie sur k7 pour nourrir mon walkman lors des 'classes' du service militaire.

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