mardi 11 novembre 2008

Junior fanzine - interview (1995)



CARMINE - INTERVIEW POUR LE FANZINE JUNIOR - JUIN 1995

1. L'évolution entre le son de Visual et celui de Lumielle provient tout d'abord de la différence de conditions d'enregistrement entre les deux albums : VISUAL a été enregistré en 8 pistes chez nous, nous avons tout fait nous-mêmes et pris pas mal de temps pour l'enregistrer, à la différence de Lumielle, que nous avons enregistré en studio 24 pistes.

Mais au-delà de ces différences de conditions matérielles, il faut voir que deux ans séparent ces deux albums. A l'époque de Visual, nous étions très préoccupés par le son des guitares et nous expérimentions le maximum de sonorités "spéciales".

Avec Lumielle, nous voulions quelque chose de plus ample et de plus acoustique au niveau de la batterie et des guitares, et de manière générale quelque chose de plus direct et de plus simple, ceci étant contrebalancé par le fait d'utiliser beaucoup plus d'instruments comme le balafon, le violon, les percussions, etc.

2. Nous sommes sûrement influencés par un tas de choses (et toutes ne sont forcément d'ordre musical) mais cela est devenu inconscient pour nous. Au risque de paraître prétentieux, nous avons plutôt l'impression que c'est le fait de ne plus analyser les différentes choses que l'on peut écouter qui nous a fait évoluer. Bien sûr au début, quand on adore quelque chose, on a tendance à le décortiquer et à s'en inspirer très directement. Mais depuis VISUAL, nous avons écouté un certain nombre de choses qui nous ont certainement influencés, mais en même temps pas de manière forcément évidente à l'écoute de nos chansons : quelques trucs fabuleux dans le jazz comme Pharoah Sanders ou MacCoy Tyner, nous avons également adoré Mecca Normal et Dog Faced Hermans, de la musique classique, contemporaine (Arvo Pärt) ou pas, nous avons également redécouvert Les Raincoats ou Robert Wyatt....

3. Est-ce que tu parles du concert que nous avons fait à Bordeaux en avril 1994? Mais tout d'abord qu'est-ce que la "new wave"? Est-ce que c'est censé être une injure? (a priori oui dans les milieux popisants). Si tout ce qui est un peu hors normes actuelles (pop, grunge, hard-core), alors oui, pourquoi pas, nous sommes new-wave (ou tout du moins new, ça c'est sûr).

4. Il faudrait savoir, on est "new wave" ou "avant-garde allemande des années 70"? Il faut bien avouer qu'en donnant une référence aussi évidente, il fallait s'attendre à ce que les journalistes se ruent dessus. A vrai dire, pourquoi pas? Nous ne pouvons pas nier adorer certains morceaux de CAN mais de là à dire que Lumielle ressemble à TAGO MAGO, il y a là une audacieuse construction de l'esprit (et de l'oreille!) qui nous laisse perplexes.

5. En fait, c'était une assez vieille idée, car nous adorions ce morceau et la manière dont les Flaming Demonics le jouaient. Nous pensons que c'était l'un de leurs meilleurs morceaux et nous avons toujours regretté qu'ils ne l'aient pas enregistré. En même temps, c'était un des morceaux les plus riches, avec sa base mélodique (qui n'était pas toujours perçue comme telle) servant de support à toute la rage et tout le désespoir de cette chanson. Nous sommes partis de cette base mélodique pour nous "réapproprier" la chanson, tout en essayant de conserver l'esprit, et en toute modestie, nous sommes contents de cette version, et aussi que ce titre figure finalement sur un disque.

6. Nous avions avec VISUAL l'impression d'avoir été assez loin dans le travail sur les guitares électriques et les sonorités étranges que l'on pouvait en tirer. En plus, ce fut une démarche naturelle que d'aller dans d'autres directions : utiliser des instruments inusités (en tous cas dans le "rock"), inventer des arrangements de cordes, chanter en français ou dans d'autres langues que l'anglais.... Quant à trouver des raisons à cette évolution, il nous semble que c'est plutôt une question d'envie de découvrir , d'essayer d'autres choses ...

Ceci dit, les guitares sont toujours bien présentes sur scène.

7. C'est une guitare acoustique sur laquelle nous avons installé trois cordes graves, qui sont jouées à l'archet, ce qui donne une sorte de violoncelle, en plus rugueux et un peu moins harmonieux. En tous cas, tu es la première personne à nous poser la question, jusqu'à présent, nous croyions que tous ceux qui ont écouté le disque avaient un guitaroncelle chez eux, vu le peu de curiosité que cela a suscité.

8. Comme nous l'avons déjà dit, Lumielle est le fruit d'une évolution sur deux années, qui s'est faite naturellement et sans préméditation consciente de notre part. Nous voulions surtout que les chansons soient plus simples (ou plus directes), plus faciles à aborder, en tous cas en premier lieu pour nous même, nous voulions quelque chose de plus spontané, sur lequel on s'est finalement moins posé de questions que pour Visual. Dans cet état d'esprit, comment savoir vers où l'on veut aller?

Quant à notre idéal de musique, il est souhaitable que l'on ne l'atteigne jamais, si on veut continuer à faire des disques!!!

9. Effectivement les deux voix sont généralement indépendantes. Chacun compose sa mélodie de voix et nous jouons souvent à les enregistrer séparément, sans que l'un entende la mélodie de l'autre. Au final, nous écoutons le résultat, quelquefois tout à fait décevant, mais souvent c'est une surprise pour nous-mêmes. Cependant, une fois les mélodies de voix fixées, les paroles sont composées en tenant compte des deux voix ensemble.

10. Enfin quelqu'un qui a écouté le disque jusqu'au bout!!! Comme jusqu'à présent, aucune chronique ne mentionnait ce morceau (même les plus élogieuses!), nous commencions à nous poser des questions. A vrai dire, il n'était pas prévu au départ de mettre ce morceau sur l'album. C'était une improvisation faite en répétition et nous avions envie de l'enregistrer en studio pour nous-mêmes, si nous en avions le temps. En définitive, bien qu'enregistré très rapidement en "live" et en improvisation à 60%, nous en étions très contents et avons donc décidé de la mettre en fin d'album. Le titre que nous lui donnons entre nous est "Pharoah Tyner" ; en effet, c'est typiquement un morceau dans la veine de ce qu'a pu faire MacCoy Tyner dans les années 70 : une basse répétitive, des couches successives de piano mi-mélodiques mi-dissonantes et des percussions.

Si nous avons "caché" ce morceau, c'est parce qu'il représente plus un hommage à ce type de musique qu'à une chanson "carminienne". En premier lieu, ça nous faisait plaisir de l'inclure et nous espérons qu'il pourra intéresser et surprendre certaines personnes qui ne s'attendaient pas à ce genre de morceau de notre part.

11. L'avantage de Stefan EICHER est de vendre beaucoup plus de disques que nous!!!!

A nos débuts, il nous semblait naturel de chanter en anglais, qui était la langue de tout ce que nous écoutions. De plus, l'idée était de privilégier la sonorité sur le sens, ce qui est beaucoup plus facile avec l'anglais et avec une langue autre que la langue maternelle. Sur cet album, nous avions envie d'introduire un peu de "sens" tout en conservant l'aspect "sonorité" et nous voulions donc chanter une bonne partie des chansons en français, d'autant plus qu'il nous semblait que notre musique s'y prêtait plus naturellement sur Lumielle. Quant à la chanson en allemand, elle n'était absolument pas préméditée. C'est en écoutant l'ébauche de guitare qu'Isabelle a instinctivement pensé à ce texte de Paul CELAN, grand poète que nous apprécions particulièrement. Elle a commencé à chanter les paroles dessus et la chanson a été composée en une demi-heure (un record pour nous!)

Notre idée consiste en fait à trouver un équilibre entre sens et sonorité des mots : ensuite, le choix de la langue en découle et n'est limité que par notre connaissance des langages (ainsi, il est fort peu probable que CARMINE chante un jour en Russe, en Gaëlique ou en Navajo mais pourquoi pas en Espagnol, ....). De plus, nous faisons avant tout de la MUSIQUE, et ceci nous séparera toujours de la "chanson française", car pour nous tous les éléments, y compris la voix et le texte, doivent s'imbriquer les uns dans les autres, et s'il fallait mettre quelque chose en avant (ce que nous ne voulons pas), ce ne serait sûrement pas la voix et les paroles (ce qui ne veut pas dire, attention, que nous n'y attachons pas d'importance et que nous ne les travaillons pas).

De toute façon, il est assez amusant de voir que ceux qui à l'époque de Visual nous reprochait de ne pas chanter en français, aujourd'hui ne s'intéressent absolument pas aux textes du Sommeil, de Quadrille ou de Résonance du vide (ne serait-ce que pour dire qu'ils sont complètement nuls....). Comme quoi, le critique musical est un animal imprévisible.

12. C'est moins un credo qu'une démarche naturelle. Nous ressentons la création artistique (et même la création tout court) comme le reflet de la sensibilité de celui qui l'exprime, que ce soit à travers la musique, le cinéma, la poésie. Ensuite, on est bien sûr plus sensible à certaines formes de cette expression qu'à d'autres. Mais à la limite, nous nous sentons plus proches au niveau sensibilité et émotion de certains écrivains ou cinéastes que de musiciens : c'est plus ce qu'on exprime qui compte que le medium par lequel on l'exprime.

Mais c'est vrai que nous aimons afficher ou cacher des références aux artistes que nous aimons : "afficher" dans le cas de Tenebrae, poème de Paul Celan, "cacher" dans le cas de F.I.R.M. (essaie de comprendre le texte parlé d'Isabelle sur la fin de la chanson....)

13. Ton interprétation est très jolie et nous plaît beaucoup. C'est certainement ce que nous répondrons à l'avenir quand on nous interrogera sur nos pochettes. Très sincèrement, nous avions plutôt voulu sur Lumielle rompre avec nos précédentes pochettes. La photo extraite du film "Une Page Folle" (film japonais muet des années 30) nous plaisait beaucoup par elle-même et nous semblait en plus traduire un peu l'esprit de notre musique (le sourire mais figé, la danse mais désarticulée, en un mot une ambiguïté douce-amère). En tout cas, nous accordons beaucoup d'importance à la pochette et nous sommes contents que tu aies fait de même en y donnant ta propre interprétation.

14. Le mode de fonctionnement de CARMINE a toujours été un peu compliqué et surtout mal compris. Carmine est composé à la base de deux personnes – Isabelle Andrès et Julien Retaillaud - qui composent ensemble l'intégralité des morceaux (et en ceci, nous n'avons pas l'impression d'être fondamentalement différents de la plupart des groupes). Nous avons enregistré Visual avec Eric Jumbert (basse) et Nicolas Gaultier (batterie) qui nous accompagnaient sur scène à l'époque, pour avoir l'énergie d'un groupe. Mais, même si nous avions (et avons toujours) des liens amicaux et humains avec eux, il s'agissait essentiellement de nous donner un coup de main. Avec Théo Jarrier, les choses vont plus loin, et de manière plus naturelle, en ce sens que Théo s'implique plus dans la musique et qu'il nous a apporté beaucoup aussi bien musicalement (par sa manière de jouer ou par des musiques qu'il nous a fait découvrir) qu'humainement. Ceci dit, sur scène, nous continuerons à jouer avec d'autres personnes (probablement 2 ou 3 autres), qui sont des amis et s'intéressent au groupe, mais n'interviennent pas dans la composition des morceaux.

15. En fait pas du tout. Effectivement, cette chanson sonne plus "pop" que le reste mais nous l'aimons beaucoup. De toute façon, nous n'attachons pas beaucoup d'importance au "genre" et trouvons idiot que les gens s'attendent d'un groupe à ce qu'il se cantonne dans un domaine musical et se désintéressent de tout ce qui peut en sortir. Ainsi chez nous, nous composons beaucoup de choses qui peuvent sonner différemment et les sélectionnons ensuite si elles nous plaisent vraiment et pas si elles rentrent dans le critère "chanson carminienne". D'où "Today is a wide place", d'où une pop-song bricolée d'1'30 qui va bientôt sortir sur un split single américain mais d'où aussi "Destruction of a heart" qui dure plus de 10 minutes et toutes les autres!

16. C'est un sujet sur lequel nous n'avons pas vraiment envie de revenir. Les raisons de cette rupture ne regardent que LITHIUM et nous-mêmes. D'un côté, c'est sûrement moins facile pour nous de se débrouiller tous seuls, sans le secours promotionnel et commercial que nous aurions eu sur LITHIUM, d'un autre côté, nous jouissons certainement de plus de liberté et le fait de se retrouver confronté à cette situation a certainement eu le mérite de nous faire mûrir et évoluer plus vite.

17. Voilà l'un des avantages de notre indépendance : nous pouvons avoir des projets!!! Sur KARINA SQUARE, nous avons déjà sorti un 45trs de READING STREET et nous comptons d'ici la fin de l'année sortir deux albums : l'un d'un groupe anglo-américain inconnu, mais dont les membres le sont moins (étant encore en négociation avec eux, nous ne pouvons en dire plus pour l'instant), l'autre étant le premier album de KIM, qu'il va enregistrer cet été. Quant à CARMINE, nous avons quelques projets de 45trs avec des labels étrangers, et bien sûr nous commençons à réfléchir à notre prochain album.

PLAY-LIST

JULIEN

ARVO PART - Arbos

LEO FERRE - Il n'y a plus rien

ARCHIE SHEPP - Blasé

ABDULLAH IBRAHIM (DOLLAR BRAND) - The Pilgrim

DOG FACED HERMANS - Those deep buds

HEMS - Album à paraître

PRAM - Helium

NICO - The marble index

ISABELLE

KIM - Groove the MK theme

BIRTHDAY PARTY - Sonny's burning

MECCA NORMAL - Throw Silver

RAINCOATS - No one's little girl + Odyshape Lp

JACOBITES - Big Store

DIED PRETTY - Next to nothing Ep

HANGMAN'S BEAUTIFUL DAUGHTER - Love is blue

PRETTY THINGS - The sun

SUICIDE - Ghost Rider

SWELL MAPS - Read about Seymour

THEO

FUGAZI - 13 songs

GOZ OF KERMEUR - Irondelles

KEITH JARRETT - Survivor's Suite

SLINT - Spiderland

MCCOY TYNER - Sama Layuca

PHAROAH SANDERS - Thembi

ROBERT WYATT - Dondestan

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